jeudi 19 mai 2011

Descente aux enfers de DSK à NYC - Photo Interdite de Rikers Island

Des sommets aux abîmes, en l'espace d'une semaine, Dominique Strauss-Kahn a tout perdu ou presque. Enquête sur un séisme politique...

"Acte sexuel criminel, tentative de viol et séquestration." Après l’inculpation de Dominique Strauss-Kahn et son incarcération, les questions se multiplient. Le sort de la primaire socialiste et le déroulement de l'élection présidentielle sont aujourd'hui grandement bouleversés. 
Jusqu'au 15 mai, c'était une histoire simple. L'histoire d'un homme qui aime les femmes, qui aime beaucoup les femmes, et qui ne s'en est jamais caché - toutes celles qui ont côtoyé Dominique Strauss-Kahn connaissent ce regard appuyé, la fausse complicité d'un clin d'oeil, les coups de téléphone, les sollicitations sans fard, pressantes parfois.  
Longtemps, ce goût décomplexé du beau sexe s'est même affiché en société : il y a quelques années, L'Express racontait comment, en décembre 1992, celui qui est alors ministre de l'Industrie "écoute avec gourmandise la jolie guide lui décrire le temple Borobudur (Indonésie) : le premier étage, qui incarne le monde des désirs, et le dernier, celui de la perfection. "On ne peut pas rester au premier ?" l'interroge-t-il avec malice." Mais, à l'exception d'un ouvrage à succès, Sexus Politicus, publié chez Albin Michel en 2006 et qui met en scène DSK dans des situations très privées, l'homme à femmes évite les articles de presse. Seul le politique fait la Une des journaux. 
"C'est un homme agressif, bien qu'il soit charmant"
Jusqu'au 15 mai, c'était une histoire simple. L'histoire d'un homme dont la passion l'a déjà emporté sur la raison, au point d'avoir mis en péril son poste de directeur général du Fonds monétaire international (FMI) - un an seulement après sa prise de fonction, en octobre 2008, le Wall Street Journal révèle que Dominique Strauss-Kahn fait l'objet d'une enquête pour un éventuel abus de pouvoir, à la suite d'une liaison avec l'une de ses subordonnées, Piroska Nagy, spécialiste du Ghana au département Afrique du FMI. Encore une fois, ce n'est un secret pour personne : l'intérêt que DSK lui porte fait jaser depuis des mois dans les couloirs de l'institution... 
L'enquête blanchit le directeur du FMI, pointe une relation "regrettable" due à une "erreur de jugement". La garde rapprochée de DSK multiplie les coups de fil aux rédactions parisiennes, dément tout abus de pouvoir, évoque une banale affaire d'adultère entre adultes consentants, faute avouée et pardonnée au sein du couple Strauss-Kahn. "Chacun sait que ce sont des choses qui peuvent arriver, note Anne Sinclair sur son blog.  
Nous avons tourné la page. Puis-je ajouter pour conclure que nous nous aimons comme au premier jour ?" Sans doute se souvient-elle alors des mots de son amie Simone Signoret, qu'Yves Montand trompa avec Marilyn Monroe : ce n'est pas tant d'être cocue qui est douloureux que d'être "la cocue la plus célèbre du monde"... 
DSK agressif?
Dès cette époque, pourtant, dans une lettre qu'elle adresse au cabinet d'avocats chargé du rapport d'enquête, deux jours après les révélations du Wall Street Journal, et que L'Expresspublie sur son site le 17 février 2009, Piroska Nagy exprime ses craintes sur le comportement de son patron : "Je pense que M. Strauss-Kahn est un leader brillant, qui a une vision pour affronter la crise financière mondiale en cours. C'est également un homme agressif, bien qu'il soit charmant. [...] Je crains que cet homme ait un problème pouvant le rendre peu adapté à la direction d'une institution où des femmes travaillent sous ses ordres."  
Dominique Strauss-Kahn peut-il être agressif? Michel Taubmann, dans la biographie consacrée à DSK qu'il vient de publier aux Editions du Moment, Le Roman vrai de Dominique Strauss-Kahn, parle d'un grand séducteur, pas d'un homme qui force. Tous les proches de l'ancien élu de Sarcelles (Val-d'Oise) soutiennent la même thèse : ils défendent un charmeur, pas toujours fin et léger, certes, encombrant souvent, mais jamais violent.  
Pourtant, le 13 février 2007, dans l'émission de Thierry Ardisson 93, Faubourg Saint-Honoré, une jeune romancière, Tristane Banon, fille d'une élue socialiste de l'Eure, évoquait, elle aussi,un interlocuteur brutal - un "chimpanzé en rut", assurait-elle : alors qu'elle a rendez-vous avec lui pour une interview, il l'aurait plaquée violemment au sol. "On a fini par se battre. Il a dégrafé mon soutien-gorge, il a essayé d'ouvrir mon jean. [...] Je lui ai dit le mot viol, mais ça ne lui a pas fait peur plus que ça." A l'époque, sa mère, Anne Mansouret, la dissuade de porter plainte. Aujourd'hui, son témoignage tourne en boucle dans les médias français. 
DSK face à son meilleur ennemi, lui-même
Car, depuis le 15 mai, ce n'est plus une histoire simple. C'est l'histoire d'un homme soupçonné "d'acte sexuel criminel, de tentative de viol et de séquestration", dans un pays, les Etats-Unis, si strictement puritain que certains patrons évitent de monter dans un ascenseur seul avec l'une de leurs subordonnées...  
Jusqu'à preuve de sa culpabilité, Dominique Strauss-Kahn bénéficie de la présomption d'innocence. Mais la déflagration a littéralement sidéré toute la classe politique française, parce que l'homme est touché là où il a toujours été d'une extrême fragilité - le sexe. La suspicion, le soupçon, l'incertitude...  
Un autre que DSK, dans une situation d'une telle gravité, en aurait peut-être moins souffert. Lui s'en trouve plus abîmé encore, trajectoire pourrie par sa propre réputation. "Dans la vraie vie, DSK se bat avec son meilleur ennemi - lui-même", écrivait L'Express le 23 octobre 2008. 
Aujourd'hui, c'est encore cet ennemi de l'intérieur qui jette sur lui le discrédit, et donne corps à ce scénario hallucinant. Rien n'était définitivement avéré le 16 mai, mais le doute ne bénéficie pas à celui qui est apparu menotté, entre deux policiers, le visage blême, fermé - "Je n'y crois pas un instant", dit sa femme, attachée à lui pour le meilleur et pour le pire depuis vingt ans. "Et si c'était vrai ?" ne peuvent s'empêcher de se demander, à leur corps défendant souvent, ceux qui connaissent les chemins de traverse qu'il a si souvent empruntés dans le passé ?  
Le 28 avril dernier, au cours d'un déjeuner avec les journalistes de Libération, l'ancien ministre de l'Economie de Lionel Jospin évoque lui-même les principales difficultés qu'il s'apprête à affronter, une fois sa candidature déclarée pour l'élection présidentielle de 2012 : "Le fric, les femmes et ma judéité." A propos des femmes, il fait allusion à des "photos de partouzes géantes" qui circuleraient sous le manteau des initiés : "Qu'ils les montrent !" Et conclut sur un scénario paroxystique, dont il serait évidemment la victime : "Une femme qu['il aurait] violée dans un parking et à qui on promettrait 500 000 ou 1 million d'euros pour inventer une telle histoire..." 
Nicolas Sarkozy avait enjoint DSK à la prudence
Le destin ? En juillet 2007, alors que DSK est pressenti pour la tête du FMI, c'est déjà un journaliste de Libération, Jean Quatremer, qui le met en garde sur son blog :  
"[DSK], dont tous les médias connaissent le goût pour une sexualité débridée, risque des ennuis dans un pays qui ne plaisante pas avec la morale, en général, et le harcèlement sexuel, en particulier. Le seul vrai problème de Strauss-Kahn est son rapport aux femmes. Trop pressant, il frôle souvent le harcèlement. Un travers connu des médias, mais dont personne ne parle (on est en France). Or le FMI est une institution internationale où les moeurs sont anglo-saxonnes. Un geste déplacé, une allusion trop précise, et c'est la curée médiatique." 
Nicolas Sarkozy lui-même, qui a appuyé la candidature de Dominique Strauss-Kahn, l'enjoint à la prudence, au cours d'un de leurs entretiens privés : "Méfie-toi des Etats-Unis, là-bas, les comportements personnels sont regardés à la loupe", l'avertit-il en substance. 
Une certaine inconscience
La liaison de DSK avec Piroska Nagy prouve que l'homme privé n'a jamais pris la mesure des contraintes de sa situation publique. Et, d'après ses proches, il aurait été le premier stupéfait du retentissement planétaire de l'affaire, comme si le directeur général du FMI était une personne distincte de Dominique Strauss-Kahn. Comme si les bonnes fées qui, pense-t-il, le protègent depuis qu'il a échappé, enfant, au tremblement de terre qui a détruit une partie d'Agadir, avaient soudain détourné le regard... 
Car DSK s'est toujours relevé des chutes qui l'ont empêché d'avancer aussi paisiblement qu'il l'aurait peut-être souhaité: relaxé dans l'affaire de la Mnef, qui le conduit à démissionner du gouvernement Jospin avant sa mise en examen, en 1999, il bénéficie d'un non-lieu dans deux autres dossiers - la prise en charge par le groupe pétrolier Elf d'une de ses secrétaires, et la cassette enregistrée par Jean-Claude Méry sur le financement du RPR. 
"Dominique a toujours été persuadé que l'intelligence résout tous les problèmes, explique alors l'un de ses amis. Il commence juste à se rendre compte que les choses ne se passent pas tout à fait comme ça." 
Qu'importe la politique quand c'est l'humain qui vacille
Son intelligence, "hors du commun" reconnaissent ceux qui l'approchent, n'a effectivement rien à voir avec les faits qui lui sont reprochés. S'ils sont avérés, ils relèvent de la pulsion, bien plus que de l'addiction, de l'impossibilité de contrôler l'assouvissement d'un désir immédiat.  
Qu'importe la politique, quand c'est l'humain qui vacille ? Si la justice américaine devait lever un jour les accusations qui pèsent sur DSK, les images terribles d'un homme déchu, dans la lueur blafarde des néons d'un commissariat, mettront longtemps à s'effacer. Ce statut de séducteur, prisé par les Latins et dont DSK a su jouer, n'est plus qu'un boulet à traîner.  
Il y a quelques semaines, après une longue discussion sur les forces et les faiblesses de Strauss-Kahn dans une campagne présidentielle, un élu proche lâchait, mi-goguenard, mi-sérieux : "Ce n'est pas la campagne qui m'inquiète, l'enjeu est trop important pour que Dominique fasse une connerie. C'est après qu'il faudra faire attention, s'il s'installe à l'Elysée..."  
De deux choses l'une: ou son innocence finit par être démontrée, et ne restera de lui que ce qu'il a toujours été, un homme à femmes dont les frasques et l'insouciance tenaient ses proches sur le qui-vive. Ou l'enjeu politique était effectivement trop important, et la pression trop forte, qui ont conduit DSK à une "connerie" d'une telle gravité qu'il s'est lui-même, à jamais, interdit cette vie-là. 

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